Réflexions autour de la réduction des dépenses publiques

Published On février 28, 2019 | By Samanta Bellange | Uncategorized

Economiste Daniel Dorsainvil ,ancien ministre de l’economie et des finances de Rene Preval.

Analyse de l’économiste Daniel Dorsainvil, ancien ministre de l’Economie et des Finances de René Préval, qui revoie, chiffres à l’appui, les failles du budget 2018-2019 retourné par la Chambre des députés et les solutions à apporter.

Dans son discours prononcé le 16 février 2019, le Premier ministre Jean-Henry Céant a déclaré qu’il consentirait à opérer des coupes de 30% au budget de la Primature, et a suggéré que la présidence et le Parlement emboitent le pas. Serait-ce suffisant ? Ne faudrait-il pas étendre cette mesure à l’ensemble du budget national pour pouvoir espérer un début de redressement de la situation financière et économique du pays? Les ressources antérieurement escomptées se matérialiseront-elles, et ne faudrait-il pas adapter le budget à une nouvelle réalité? N’y-a-t-il pas lieu, dans cette optique et vu l’urgence, de procéder à une allocation différente des ressources disponibles ?

Le projet de budget déposé au Parlement, et retourné par la Chambre des Députés à l’Exécutif, tablait sur 114 milliards de gourdes de recettes. Toutefois, les réalisations du premier trimestre de l’exercice fiscal en cours (Octobre 2018-Septembre 2019) ne nous autorisent pas à être aussi optimistes par rapport au total des recettes qui seront effectivement collectées. En effet, au cours du premier trimestre de l’exercice en cours, les recettes ont totalisé 19,774 milliards de gourdes. Ce résultat constitue une contreperformance par rapport au premier trimestre de l’exercice fiscal précédent quand les recettes avaient atteint 21,648 milliards de gourdes. Les recettes auront donc chuté de 9% par rapport à l’année dernière .

Ce résultat est d’autant plus surprenant que le taux de change gourde/dollar américain a connu une forte variation à la hausse (17% en moyenne) par rapport à l’année dernière. Or, une part importante des recettes de l’Etat est perçue à l’importation par l’Administration Générale des Douanes (AGD) et on aurait pu s’attendre à ce que la dépréciation de la gourde aurait eu, toutes choses étant par ailleurs égales, des conséquences heureuses sur les recettes. Cependant, les données présentées dans le TOFE montrent une chute de 23% des recettes douanières .

Une simple extrapolation à partir des résultats obtenus pour le premier trimestre permet de projeter des recettes annuelles de l’ordre de 80 milliards de gourdes pour l’exercice fiscal en cours , et non les 114 milliards de gourdes prévues dans le projet de budget déposé au Parlement. Cet écart de 34 milliards de gourdes correspond justement à une baisse de 30% des recettes envisageables par rapport à celles qui figuraient dans le budget retourné. Simple coïncidence ? Toujours est-il qu’il nous est permis d’affirmer sur la base de ce constat, qu’un sacrifice de 30% de la part de la Primature ne va pas assez loin, et en fait n’en est même pas un. La Primature se plie simplement à une nouvelle réalité budgétaire de vaches maigres, sans pour autant réduire la pondération de son enveloppe dans le budget global. Ce qu’il faut c’est, tout en tenant compte de la contrainte budgétaire plus sévère, d’opérer des coupures beaucoup plus profondes à la Primature et ailleurs, et d’ouvrir des crédits additionnels au profit des programmes, services, et activités des secteurs sociaux et économiques par exemple, ayant mandat d’apporter des réponses ciblées, utiles, et vérifiables aux urgences identifiées.

Certes, cet exercice exige un nouvel examen du programme d’investissement public (PIP) pour identifier les projets pouvant produire les impacts souhaités. Dans le meilleur des cas, l’urgence fait à l’Etat l’obligation de cibler des résultats probants. Par conséquent, il est souhaitable que des documents de projets soient disponibles (et publiés) et que des indicateurs de performance soient explicités pour chacun des projets retenus.

Mais l’austérité requiert qu’un regard soit également porté sur le budget de fonctionnement pour identifier toutes les opportunités d’épargne et de redéploiement des ressources budgétaires vers les secteurs et activités prioritaires définis et requis par l’urgence. Cette recherche a toutes les chances d’être fructueuse puisque le budget de fonctionnement affiche un taux d’exécution beaucoup plus élevé que celui de l’investissement.

Les crédits budgétaires ouverts au profit des trois instances citées par le Premier ministre (PRÉSIDENCE, PRIMATURE, PARLEMENT) totalisent 9,7 milliards de gourdes dans le budget déposé. Par conséquent, une réduction de 30% de ces enveloppes permettrait théoriquement d’épargner 2,9 milliards de gourdes. Mais justement, dans le contexte de perspectives de recettes beaucoup moins optimistes :

a) Il n’y a plus lieu de retenir ces enveloppes ; et

b) Il faut opérer des coupures plus profondes, d’autant plus que la quasi-totalité de ces crédits sont imputables au budget de fonctionnement, donc susceptibles d’être absorbés rapidement.

Globalement, les trois instances consommeraient 8,5% des recettes de 114 milliards de recettes projetées antérieurement. Et si on imposait, pour ces enveloppes, un plafond variant dans la fourchette 3%-6% des nouvelles projections de recettes : 80 milliards de gourdes ? Déjà avec un plafond de 6%, les coupures par rapport aux enveloppes du budget déposé seraient de l’ordre de 50% dans ces cas-là, et non pas de 30%.

La question fondamentale pour tous les secteurs est la suivante : étant donné la nouvelle réalité budgétaire, quelles dépenses doivent être priorisées selon les critères (à préciser peut-être ?) qu’impose l’urgence ? La Primature donne le ton, ce qui est bien, mais l’exercice doit être étendu à l’ensemble des Administrations.

Les dépenses totales engagées ont connu une hausse de 13% durant le premier trimestre de l’exercice en cours par rapport à l’exercice précédent, un résultat principalement imputable à une augmentation sensible (14%) des dépenses de fonctionnement. Les dépenses d’investissement ont affiché un recul de 8%. Il serait utile de questionner la pertinence des projets en exécution par rapport à la problématique de l’urgence économique. Les dépenses totales ont progressé de 2,7 milliards de gourdes.

Si on plafonne la pondération du budget des instances ciblées à 6%, l’épargne réelle accumulée totalise environ 2 milliards de gourdes. On peut alors étudier la possibilité d’orienter ces ressources vers des programmes de promotion et de protection sociale, d’irrigation, d’assainissement, de réparation des pistes agricoles, de renforcement de l’AGD, etc. Il importe d’identifier d’autres opportunités d’épargne dans les budgets de l’ensemble des secteurs. À toutes fins utiles, nous présentons dans le tableau ci-dessous des allocations budgétaires inscrites dans le budget 2018-2019 déposé, et qui pourraient faire l’objet d’analyse dans un souci d’épargne et de réallocation de ressources.

Le rythme actuel des dépenses budgétaires correspond sans doute aux crédits du budget rectificatif reconduit alors que les recettes, particulièrement aux lendemains des évènements de Février 2019, pourraient être en-deçà de celles de l’année dernière, c’est à dire même au-dessous des 80 milliards de gourdes. Pourtant,diverses institutions, dont celles qui ont été citées, pourraient mettre en avant le caractère incompressible des dépenses de fonctionnement, de salaire par exemple, et utiliser comme justificatif les troubles sociaux et politiques nécessitant des dépenses additionnelles, dont des interventions publiques. La réalité budgétaire et l’obligation de stabilisation du cadre macroéconomique s’opposent à de pareilles démarches.

Toujours dans un souci d’épargne et de réallocation des ressources, nous invitons les Autorités à une autre appréciation du caractère incompressible de certaines dépenses de fonctionnement à la lumière des effectifs de certaines Administrations qui apparaissent dans le budget 2018-2019 déposé .

Le relevé des effectifs et des lignes budgétaires n’est pas exhaustif. Nous invitons les Autorités à une analyse approfondie visant la réduction des dépenses et leur réorientation sur la base des pistes que nous avons pointées. Soulignons dans ce contexte que, dans la mesure où l’urgence s’assimile à la paupérisation des ménages et à la décapitalisation des entreprises, trois actions nous paraissent hautement prioritaires :

1) Le paiement régulier des salaires de la Fonction Publique pour redynamiser les économies locales et régionales grâce àune meilleure circulation monétaire;

2) L’apurement des arriérés (dument constitués et documentés) auprès des entreprises et fournisseurs de service;

3) La mise en œuvre de travaux à haute intensité de main-d’œuvre (HIMO) dans les domaines de l’assainissement, et de l’agriculture, par exemple.

In fine, la prochaine étape pour le Premier Ministre et son Gouvernement consiste en l’élaboration d’une nouvelle « lettre de cadrage » pour le budget ; celle-ci devrait :i) s’inspirer de sa conception/compréhension des urgences ; ii) et admettre la contrainte des nouvelles donnes budgétaires. Ce critère d’utilité répond à la nécessité: a) de ne pas engager des dépenses sur la base de ressources fictives ; b)d’enrayer le déficit budgétaire qui alimente la décote de la gourde et l’inflation, deux phénomènes interdépendants qui concourent à l’effritement du pouvoir d’achat des ménages ; c) de formuler des réponses adéquates à l’urgence au moins sur les plans social et économique.

Daniel Dorsainvil, PhDEconomiste
source le nouvelliste

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